Les incitations à miner : l’économie de l’ajustement de la difficulté (1/3)
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Dans cette partie, nous allons comparer l’économie de l’industrie minière traditionnelle à celle du minage de bitcoins. Nous verrons comment l’ajustement de la difficulté peut influencer la rentabilité de ces deux secteurs ainsi que certaines incitations potentiellement perverses.
Cet article est une traduction de “Mining Incentives – Part 1 – The Economics of the Difficulty Adjustment” publié dans le cadre du partenariat entre Journalducoin & BitMEX research. L’ajustement de la difficulté du minage de bitcoins
Le minage est le processus aléatoire par lequel on trouve des nouveaux blocs Bitcoin afin de confirmer des transactions. Ce processus est obligatoirement compétitif et énergivore. Pour que le réseau soit fluide et fiable, la difficulté du minage est ajustée toutes les deux semaines, en fonction du nombre de blocs qui ont été minés durant cette période. L’intervalle cible moyen entre deux blocs est de 10 minutes. Une période de deux semaines est divisée en 2016 segments de 10 minutes chacun.
- Si plus de 2016 blocs ont été minés en deux semaines, le minage devient plus difficile, de sorte que si le hash rate reste constant, un bloc devrait être trouvé toutes les 10 minutes pendant la prochaine période de deux semaines.
- Si moins de 2016 blocs ont été minés en deux semaines, le minage devient plus facile, de sorte que si le hash rate reste constant, un bloc devrait être trouvé toutes les 10 minutes pendant la prochaine période de deux semaines.
- L’ajustement maximum d’une période donnée est un multiple de 4 (c’est-à-dire que c’est de 25% à 400% plus difficile que la période précédente) Le graphique ci-dessous montre les ajustements de difficultés (la ligne rouge) et le hash rate estimé sur une période continue de deux semaines (la ligne verte), pendant les deux derniers mois.
[caption id=“attachment_180825” align=“aligncenter” width=“1763”] L’ajustement de la difficulté en fonction de la puissance de calcul[/caption]
Équilibre du minage : pourquoi cela ne signifie pas que les mineurs ne peuvent pas faire de bénéfices
En théorie, l’ajustement de la difficulté permet au système de rester équilibré quand des facteurs externes changent. Voici par exemple ce qu’il pourrait se passer si le prix du bitcoin augmentait soudainement :
- Le prix du bitcoin augmente.
- La rentabilité du minage augmente, puisque les mineurs sont récompensés en bitcoin.
- Davantage de mineurs rejoignent le réseau pour profiter des meilleurs bénéfices et il y a peu de barrières limitant l’accès au minage.
- Le hash rate du réseau augmente et l’intervalle moyen entre deux blocs passe en dessous de 10 minutes.
- Après quelques semaines, la difficulté de minage augmente et donc la rentabilité du minage diminue.
- L’intervalle moyen entre deux blocs est à nouveau de 10 minutes.
Cette même logique peut s’appliquer à une augmentation des frais de transaction de Bitcoin ou la sortie de nouveaux matériels de minage plus efficaces. Cette théorie peut aussi être inversée si le prix du bitcoin diminue soudainement. Contrairement à une idée reçue, cette courte période de deux semaines, combinée à la possibilité théorique que n’importe qui peut se lancer dans le minage, ne signifie pas que les bénéfices de l’industrie du minage frisent le zéro d’une semaine à l’autre. En revanche, avec l’ajustement de la difficulté, les bénéfices du plus infime des mineurs tendent plus rapidement vers zéro. Mais tous les mineurs ne sont pas les mêmes, certains profitent de coûts considérablement plus bas (comme pour l’électricité), d’économies d’échelle, ou d’un régime d’entretien efficace. Ces mineurs plus efficaces peuvent produire des bénéfices stables durant ces périodes. En outre, il n’est plus vrai que les barrières limitant l’accès au minage de bitcoins à partir d’un certain coût sont négligeables. Par exemple, il faut peut-être un capital engagé important, il peut y avoir de longs temps d’attente avant que la ferme de minage ne soit active. Il est peut-être difficile de se procurer de l’énergie à bas prix, et les cartes spécialisées en minage dernier cri sont parfois difficiles à obtenir. En conséquence, l’idée selon laquelle les barrières à l’entrée sont faibles n’a plus vraiment lieu d’être.
Comparaison avec l’industrie minière de l’or
Le graphique ci-dessous illustre la totalité de la production mondiale d’or par des sociétés minières. L’axe horizontal représente la proportion de la production d’or mondiale par des sociétés, tandis que l’axe vertical mesure le coût nécessaire pour produire une once troy d’or (environ 30 grammes). La mesure du coût est appelée “coûts totaux” et comprend à la fois le coût marginal de production (charges variables) et la dépréciation annuelle du capital engagé pour construire la mine (charges fixes). La ligne rouge représente le prix de l’or au comptant. [caption id=“attachment_180850” align=“aligncenter” width=“1901”] Courbe du coût de l’industrie minière de l’or[/caption] Comme ce graphique le montre, les mineurs sur la gauche arrivent à générer des bénéfices malgré des réductions modiques sur le prix au comptant de l’or. Par contre, on peut dire que les mineurs tout à fait à droite sont les plus insignifiants. Les bénéfices de ces mineurs se rapprochent souvent de zéro durant la période. Si le prix de l’or augmente, sur le long terme, plus de mineurs d’or pourraient rejoindre cette industrie du côté droit du graphique, aussi l’offre d’or augmenterait et le prix de l’or diminuerait en conséquence. Ce type d’équilibrage ne peut pas concerner le bitcoin, puisque la quantité est fixe, l’ajustement de la difficulté est donc une alternative à ce mécanisme d’équilibrage. Il faut de nombreuses années pour démarrer une nouvelle mine d’or (pour le moment, bien plus que pour le bitcoin) et le mineur voudra probablement s’assurer que sa mine est assez rentable avant de décider d’investir dans une nouvelle mine. On peut donc considérer que le mécanisme d’équilibrage du bitcoin se produit plus fréquemment que dans l’industrie minière traditionnelle. La barre grise à l’extrême droite du graphique représente un mineur qui enregistre une perte. Cependant, puisque le coût total inclut la dépréciation, il peut être raisonnable pour ce mineur de rester en activité pour contribuer au capital engagé de départ, même s’il s’est avéré que la décision d’investissement était mauvaise. Cette logique peut également s’appliquer au minage de bitcoin : les charges fixes correspondent, entre autres, à l’acquisition du matériel de minage et à la construction d’une ferme de minage, tandis que les charges variables correspondent par exemple aux factures d’électricité et à l’entretien. Donc, comme pour le minage traditionnel, un mineur Bitcoin qui mine à perte aura peut-être plus d’intérêts à rester en activité, tant qu’il contribue aux charges fixes de départ. Il pourrait alors être considéré comme un mineur positif qui génère un flux de trésorerie disponible. Cela pourrait contribuer à assurer que le hash rate et les conditions du réseau Bitcoin soient plus stables qu’ils ne le seraient autrement.
Comment l’ajustement du minage influence l’économie de l’industrie ?
Si la difficulté du minage augmente, le coût nécessaire aux mineurs pour produire un bitcoin devrait augmenter. Mais cette augmentation des coûts n’est pas directement proportionnelle : un ajustement de difficulté vers le haut de 10% ne devrait en théorie faire augmenter les charges variables nécessaires à la production d’un bitcoin que de 10 %. Les charges fixes, comme la dépréciation, restent quant à elles inchangées. Chaque mineur peut avoir une répartition différente des charges fixes et variables. Puisque les charges fixes ne devraient pas être affectées par un ajustement de la difficulté, les mineurs dont la part de charges fixes est plus élevée (peut-être grâce au montant minime d’une charge variable comme le coût de l’électricité) profitent plus d’une augmentation de la difficulté que leurs pairs. Cette relation diffère du minage de ressources traditionnel (comme le minage de l’or). Si le prix au comptant de l’or change, cela n’influence ni les charges fixes ni les charges variables nécessaires à la production d’une once troy d’or. Ainsi, dans le minage de l’or, les actions des autres mineurs n’ont pas directement de conséquences sur les charges d’une autre mine, alors que dans le minage de bitcoins, les ajustements de la difficulté qui découlent des actions des autres mineurs influencent directement le coût d’une unité de production. Si le prix au comptant de l’or augmente ou diminue, l’impact sur tous les mineurs d’or est proportionnel aux ventes, et donc aux bénéfices par once troy. C’est différent pour le minage de bitcoins.
En théorie, certains mineurs pourraient même réaliser des bénéfices en termes absolus sur la chute des prix du bitcoin.
Nous avons expliqué comment certains mineurs de bitcoins peuvent, en comparaison au minage traditionnel, tirer profit d’un prix du bitcoin plus bas. Il est toutefois également possible pour certains mineurs de réaliser un bénéfice absolu sur la chute du prix du bitcoin, à court terme. Si le prix au comptant du bitcoin chute, cela va d’abord influencer le revenu par bitcoin produit de tous les mineurs de manière égale, comme pour le minage traditionnel. Cependant, si les mineurs à l’extrême droite de la courbe des coûts partent, selon la forme de cette courbe, certains mineurs pourraient enregistrer une augmentation de leurs bénéfices absolus. D’un côté, cela pourrait rendre les gains de l’industrie du minage de bitcoins plus résistants à l’effondrement des prix, mais d’un autre côté, cela pourrait engendrer des incitations perverses. Comme cette courbe ci-dessous, imaginaire et peut-être irréaliste, l’indique, si le prix du Bitcoin passe de 1000 $ à 800 $, les nombreux mineurs dont les coûts sont juste en dessous de 1000 $ pourraient éteindre leur machine. La difficulté pourrait alors diminuer, et les mineurs situés à gauche sur la courbe pourraient, en théorie, augmenter leurs bénéfices en termes absolus. Une analyse similaire pourrait être appliquée dans une situation où il n’y a pas de mineurs qui partent, mais il n’y en a pas non plus qui rentrent sur le marché. [caption id=“attachment_182790” align=“aligncenter” width=“1837”] Courbe de prix imaginaire de l’industrie du minage (charges variables)[/caption] En conclusion, il se peut que pendant certaines périodes, la chute des prix du bitcoin profite à des mineurs. Qui sait, ce phénomène est peut-être déjà en cours, jusqu’à un certain point, si des mineurs importants dont les charges sont faibles veulent que le prix reste bas afin que de nouveaux mineurs ne rentrent pas sur le marché. Mais cela reste tout de même peu probable. Mis à jour le 15 septembre 2017 Cet article fait partie d’une suite d’articles sur l’économie minière. N’hésitez pas à lire les autres articles de la série si les mécanismes économiques qui impactent l’industrie minière vous intéresse :
- La domination de la Chine (2/3)
- Entre court et long terme (3/3)
https://journalducoin.com/non-classe/incitations-a-miner-leconomie-de-lajustement-de-difficulte-1-3/