[Presse] Le Figaro / Les États doivent-ils réguler le bitcoin et les cryptomonnaies ?
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Le Figaro - Édition du mardi 13 mars 2018
LES ÉTATS DOIVENT-ILS RÉGULER LE BITCOIN ET LES CRYPTOMONNAIES ?
Le 19 mars à Buenos Aires les grands argentiers du G20 diront s’il faut réglementer le bitcoin et les autres cryptomonnaies. Certains envisagent même de refuser leur convertibilité en « monnaies réelles », dollar ou euro. Est-il possible de contrôler ces devises d’un nouveau type ? Par Jean-Pierre Robin.
Extrait (…) Loin d’être technique, l’enjeu est donc politique. Peut-on, veut-on, faut-il, réglementer le bitcoin, la cryptomonnaie la plus emblématique de toutes, la star du village mondial financier ? (…) [Le] père spirituel des monnaies privées, le philosophe économiste Friedrich Hayek, (…) a exposé le principe dans son livre culte, La Route de la servitude publié en 1944 ; sa thèse était que l’interventionnisme des États ne cesse d’empiéter sur les libertés individuelles, conduisant au totalitarisme. En France ce courant a été incarné par Jacques Rueff, « l’économiste du Général de Gaulle », et son ouvrage Le Péché monétaire de l’Occident est paru en 1971, l’année où le président Richard Nixon décrétait l’inconvertibilité du dollar en or. L’abomination absolue selon Rueff, car c’était la fin de tout ancrage de la monnaie et la porte ouverte à l’impéritie des politiques. Pour cette école de pensée, le bitcoin et les cryptomonnaies expriment un espoir profond, le retour à l’étalon or sous une autre forme. Les geeks et les ultralibéraux partagent les mêmes valeurs de liberté. (…) « […] Il est difficile de se désintoxiquer de la création monétaire et ayant acheté énormément de titres d’État elle est désormais dépendante des cycles des élections nationales », avertit le professeur Bruno Colmant, économiste (…). Au contraire, l’algorithme du bitcoin (…) gage de solidité ? Une totale illusion que dénonçait le mois dernier Augustin Cartens, le directeur général de la BRI, la Banque des règlements internationaux (…) Le vice majeur reproché aux cryptomonnaies tient à leur anonymat, quand bien même l’informatique permet une traçabilité absolue des transactions ! (…) En attendant les propositions communes que le couple franco-allemand s’est engagé à présenter le 19 mars à Buenos Aires, le gouverneur de la Banque d’Angleterre a été le plus explicite. Dans un discours récent à l’université d’Édimbourg, Mark Carney estime que les banques centrales ont trois attitudes possibles vis-à-vis des cryptomonnaies, « les isoler, les réguler ou les intégrer ».
- Les isoler signifierait que le bitcoin, entre autres, vive en circuit fermé de monnaie privée, sans possibilité de conversion avec les « monnaies réelles », le dollar ou le renminbi chinois. C’est ce que la Chine a décidé l’an dernier en interdisant à ses institutions fi- nancières de traiter les cryptomonnaies, dont les Chinois sont pourtant personnellement les plus friands au monde…
- À l’opposé, les banques centrales peuvent avoir la tentation d’intégrer les cryptomonnaies, en créant les leurs. Et là encore la BPOC, la Banque populaire de Chine, a les projets les plus avancés. Mais un « bitcoin centralisé » n’est-il pas un oxymore ?
- La troisième option revient à « réguler», essentiellement au niveau des plateformes assurant l’interface avec les réseaux de cryptomonnaies, comme la Banque de France semble y songer. C’est également la recommandation du gouverneur de la Banque d’Angleterre, avec ces deux arguments clés : « la blockchain est une technologie d’avenir pour les systèmes de paiements » et « les gens sont de plus en plus désireux d’établir des relations de pair à pair ». Vox populi vox dei. (L’article)
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