[Presse] Pour la Science / La folie électrique du bitcoin
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Pour la Science - n° 484 - Février 2018 - 6,50
Pour la Science est l’édition française du mensuel Scientific American.
Dans son édition de février 2018, le mensuel français propose un dossier de cinq pages sur le coût astronomique en énergie du bitcoin.
LA FOLIE ÉLECTRIQUE DU BITCOIN
Les cryptomonnaies telles que le bitcoin se substitueront-elles un jour au dollar et à l’euro? Rien n’est moins sûr, si l’on considère l’effrayante consommation d’électricité liée au fonctionnement de ces monnaies numériques.
Extrait Un point soulève l’inquiétude : le réseau informatique qui assure le fonctionnement des échanges de bitcoins et leur sécurisation a une importante consommation d’énergie électrique. Toujours à la date du 1er janvier 2018, le site internet spécialisé Digicornorer l’a évaluée à 36 térawattheures par an, ce qui correspond à la dépense électrique annuelle de plus de 3,4 millions de foyers américains, ou encore à 0,16 % de la production électrique mondiale. Cette quantité d’énergie brûlée par le réseau est appelée à croître. Un raisonnement économique que nous détaillerons plus loin montre que la dépense électrique du réseau est proportionnelle au cours du bitcoin, avec un délai d’ajustement de plusieurs mois pour que les investissements de rattrapage se mettent en place quand le cours augmente (une sorte d’inertie). Comme le cours du bitcoin a été multiplié par plus de 14 en un an, l’ajustement de la consommation lié au cours actuel n’a pas totalement eu lieu et se fera en multipliant au moins par a ou 3 dans les prochains mois la consommation électrique du réseau actuel. C’est une certitude… sauf si le cours du bitcoin s’écroule. On aboutira alors à une consommation électrique du réseau informatique du bitcoin comprise entre 70 et 100 TWh par an, équivalente à celle d’un pays tel que la Belgique. Les évaluations mentionnées sont approximatives, car il est impossible de savoir dans le détail qui dépense de l’électricité et combien pour l’extraction de nouveaux bitcoins. (…) À nouveau, deux camps s’affrontent pour cette évaluation. Il y a ceux, peut-être un peu pessimistes, qui arrivent aux chiffres élevés mentionnés. Le site Digiconomist, créé par le Néerlandais Alex de Vries, est le plus sérieux représentant de ce camp qui exprime une inquiétude et finalement de la méfiance vis-à-vis des cryptomonnaies, dont l’empreinte écologique semble déraisonnable. Un autre camp, plus optimiste, arrive à des chiffres en gros deux fois plus faibles. Son représentant le plus précis est Marc Bevand, un Français vivant aux États-Unis, qui s’exprime aussi sur Internet.(…) Même pour les optimistes, la dépense électrique est importante et atteint 5% de la consommation électrique française. Elle ira en croissant si l’intérêt pour les cryptomonnaies se confirme et que leurs cours montent. En prenant en compte les autres monnaies cryptographiques analogues au bitcoin, il faut doubler l’évaluation optimiste; c’est donc au moins l’équivalent de 10 % de la consommation française d’électricité que les monnaies cryptographiques représenteraient… et bien plus dans le futur. (…) La puissance totale du réseau, mesurée par sa capacité à calculer des fonctions SHA256, est devenue colossale. Environ 14 milliards de milliards de calculs de SHA256 sont effectués chaque seconde. Le coût électrique de cette activité est bien sûr important et, à moyen terme, c’est-à-dire en quelques mois, il devient égal à un certain pourcentage de la valeur des bitcoins émis et des commissions associées aux transactions. Le coût en électricité n’est pas le seul prix de la course aux calculs de la fonction SHA256, car il faut acheter les puces spécialisées et mettre en place les ruines à bitcoins — aujourd’hui de véritables usines composées de plusieurs bâtiments et employant des dizaines d’ouvriers et techniciens. La consommation électrique représente un pourcentage assez stable du coût de fonctionnement et d’amortissement de ces mines numériques. (…) Seule l’augmentation de la valeur unitaire du bitcoin peut amener à ce que leur total s’approche, en valeur, du total des billets de dollars en circulation. Cette multiplication par 6 de la valeur des bitcoins (ou par 5 si l’on veut prendre en compte les 20% de bitcoins non émis) ne semble pas impossible au vu de ce qui s’est passé depuis deux ans. Une telle multiplication par 5 conduirait la dépense électrique du réseau bitcoin à une valeur comprise entre 350 a 500 TWh par an pour les pessimistes, et entre 175 et 250 TWh par an pour les optimistes. Ce serait alors, en ordre de grandeur, comparable à la consommation électrique française annuelle. Rien ne pourra arrêter cette croissance sans une volonté déterminée, soit de la communauté qui en a collectivement le pouvoir mais dont ce n’est pas l’intérêt, soit des États en imposant un contrôle ou en interdisant ce type de mécanisme numérique et économique diabolique. Les chiffres cités correspondent à des évaluations assez imprécises, mais les ordres de grandeur sont corrects et bien sûr donnent le vertige… (…) Notons aussi que nous avons seulement envisagé une augmentation du cours du bitcoin pour que leur total égale en valeur les billets en dollars, ce que les économistes nomment la «base monétaire» et notent M0. Si nous avions pris en compte la valeur de la masse monétaire M1, qui inclut en plus l’argent présent sur les comptes à vue des particuliers et des entreprises (M1 vaut environ le triple de Mo), nous serions arrivés ? une dépense électrique trois fois plus importante. Les chiffres seraient alors compris entre 1000 et 1500 TWh par an pour les pessimistes, et entre 5oo et 750 TWh pour les optimistes. Dans le meilleur des cas, on atteindrait des chiffres comparables au huitième de la consommation électrique des États-Unis (4128 TWh en 2015) et, dans le pire des cas, au tiers. (…) C’est la volonté d’avoir un système protégé par le placement d’une quantité colossale de calculs (et donc d’électricité) dans le registre des comptes pour le rendre infalsifiable qui est à l’origine du problème, Malheureusement, cette solidité presque parfaite a un prix: l’impossibilité que le cours du bitcoin augmente au point de devenir un jour un véritable concurrent du dollar ou de l’euro. (…) (Lire l’article)
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